J’avance dans la brume de la montagne de Lure, à 800 mètres d’altitude. La visibilité est mauvaise ce matin et la pluie redouble d’intensité. Je progresse dans la garrigue, puis au milieu d’une jeune forêt de cèdres. L’odeur des bois humides apaise l’esprit et je me sens bien dans cette nature sauvage, malgré les conditions météo difficiles.
Soudain, j’aperçois une caméra fixée sur un tronc. Elle surveille un grillage et, juste derrière, une plaie béante au milieu de la végétation. Devant moi, sur dix-sept hectares : la future centrale photovoltaïque de Cruis. Pour l’instant, les panneaux solaires ne sont pas installés, mais une partie des rails en métal qui vont les accueillir a déjà été fixée dans le sol, et le terrain a été aménagé.
Vue arienne dune des deux parcelles dfriches par Boralex pour installer ses panneaux photovoltaques photo collectif Elzeard
Vue aérienne d'une des deux parcelles défrichées par Boralex pour installer ses panneaux photovoltaïques. (photo collectif Elzeard)
Le mélange de garrigue et de forêt qui se trouvait à cet endroit a disparu. Les arbres ont été rasés. Les buissons, détruits. Sur cette parcelle, qui avait brûlé en 2004, des cèdres avaient été replantés par l’Office national des forêts et des enfants de la commune, et étaient promis à un bel avenir. C’était sans compter sur Boralex, une multinationale canadienne spécialisée dans les énergies renouvelables. Sur son site internet, l’entreprise indique “participer activement à la lutte contre le réchauffement climatique”, en proposant “de l’énergie renouvelable et abordable pour tous depuis plus de 30 ans”.
Des ouvriers pendant la coupe des arbres par Boralex photo ANB
Des ouvriers pendant la coupe des arbres par Boralex. (photo ANB)
Boralex a jeté son dévolu sur la montagne de Lure pour y installer une immense centrale photovoltaïque, qui devrait entrer en fonction dans les prochains mois et “éviter annuellement l’émission de 364 tonnes de CO2” grâce à la production d’une énergie solaire qualifiée de “propre”. Tant pis si, pour cela, il a fallu couper 900 arbres et arbustes, de l’aveu même de l’entreprise, et artificialiser 17 hectares de nature sauvage, dans lesquels 88 espèces protégées ont été répertoriées.
Un lzard ocel reptile menac et protg photographi  proximit des travaux par un bureau dtude indpendant
Un lézard ocelé, reptile menacé et protégé, photographié à proximité des travaux par un bureau d'étude indépendant.
Parmi ces espèces fragiles, un très grand nombre d’oiseaux, comme l’aigle royal, le traquet oreillard (espèce menacée, pour laquelle l’enjeu de conservation est “très fort”), le chardonneret élégant, le faucon crécerelle, le martinet noir, le grand corbeau ou encore l’épervier d’Europe. Mais aussi des reptiles dans un mauvais état de conservation, tel que le psammodrome d’Ewards ou le lézard ocellé, des insectes comme le papillon Alexanor, et des chauve-souris, comme la pipistrelle de Kuhl, la noctule de Leisler ou le petit rhinolophe. Toutes ces espèces protégées ont été “dérangées” ou ont carrément vu leur habitat détruit par les travaux de défrichement et d’aménagement.
Carte montrant la rserve de biosphre Luberon-Lure classe par lUnesco La flche rouge situe lemplacement de la future centrale de Boralex
Carte montrant la réserve de biosphère Luberon-Lure, classée par l'Unesco. La flèche rouge situe l'emplacement de la future centrale de Boralex.
Boralex a dû demander une dérogation auprès de la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence pour avoir le droit de “détruire” les habitats de ces animaux protégés par la loi. L’entreprise a obtenu ce document en 2020, ce qui paraît irréel quand on sait que le site de la future centrale est situé dans la réserve de biosphère Luberon-Lure, classée par l’Unesco en 1997. Mais, depuis, d’autres espèces protégées, qui n’avaient pas été identifiées avant les travaux, ont été localisées sur le site.
En août dernier, le Conseil national de protection de la nature (CNPN), constitué de scientifiques indépendants, a envoyé, en vain, un courrier à la Direction eau et biodiversité du ministère de l’Écologie pour alerter sur les travaux en cours, qui violaient le Code de l’environnement, car certaines autorisations nécessaires n’avaient pas été délivrées.
Mais qui écoute les scientifiques ? Visiblement pas grand monde à la préfecture ni au ministère de l’Écologie, puisque le CNPN avait déjà émis en 2019 un avis défavorable sur ce projet de centrale photovoltaïque. Le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) en avait fait tout autant en 2021.
Vue arienne montrant les deux parcelles dfriches par Boralex photo Collectif Elzeard
Vue aérienne montrant les deux parcelles défrichées par Boralex. (photo Collectif Elzeard)
De son côté, la mairie de Cruis, qui soutient Boralex, devrait toucher environ 170 000 euros par an de la part de l’entreprise, pour l’utilisation de la forêt communale.
Ai-je besoin de vous expliquer pourquoi c’est un non-sens de produire de “l’énergie verte” en détruisant des zones naturelles ? Comment peut-on sérieusement penser que c’est une bonne idée de remplacer des arbres et des habitats sauvages par des panneaux solaires ? Bien sûr, il faut développer les énergies renouvelables pour réduire l’impact de notre production énergétique. Mais cela ne peut pas se faire dans n’importe quelle condition.
N'y a-t-il pas suffisamment de surfaces déjà artificialisées à recouvrir de panneaux solaires, comme les immenses bâtiments des zones commerciales ou les friches industrielles, plutôt que de couper des arbres ? Les espaces naturels sont nos meilleurs alliés face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Leur faire supporter le coût de la transition énergétique est une folie.
Des militants du GNSA bloquent un engin de chantier sur le site de la future centrale photovoltaque de Boralex photo Pierrot Pantel
Des militants du GNSA bloquent un engin de chantier sur le site de la future centrale photovoltaïque de Boralex. (photo Pierrot Pantel)
Dans la montagne de Lure, le projet de Boralex est loin d’être un cas isolé. Plusieurs centrales similaires existent déjà et de nombreuses autres devraient voir le jour prochainement. Heureusement, de nombreuses associations se battent pour tenter de stopper cette destruction de l’environnement au nom des énergies “propres”.
Plusieurs d’entre elles, comme l’Association nationale pour la biodiversité, l’Aspas, le Groupe national de surveillance des arbres ou encore Aves France, ont déposé deux plaintes contre Boralex pour dégradation, altération et destruction d’habitat d’espèces protégées, perturbation intentionnelle d’espèces protégées, et défrichement réalisé sans autorisation.
Nadine 71 ans  gauche de la photo attache  une pelleteuse pour empcher lavancement des travaux sur le site de la future centrale de Boralex photo Pierrot Pantel
Nadine, 71 ans, à gauche de la photo, attachée à une pelleteuse pour empêcher l'avancement des travaux sur le site de la future centrale de Boralex. (photo Pierrot Pantel)
Sur le terrain, des citoyens ont décidé de bloquer physiquement les machines de Boralex pour ralentir les travaux, qu’ils jugent illégaux, et la mise en fonctionnement de la centrale. J’ai notamment rencontré Nadine, 71 ans, une habitante d’un village voisin, attachée à une pelleteuse pendant plusieurs heures malgré la pluie. Elle avait les larmes aux yeux en évoquant la montagne de Lure, dans laquelle elle prenait tant de plaisir à se promener. Ce mode d’action pacifiste agace profondément l’entreprise, qui voit la facture augmenter à mesure que le temps passe. À tel point que son service de sécurité privé a perdu ses nerfs mercredi dernier.
Sur une vidéo filmée par les militants, on voit plusieurs agents exercer des violences sur les citoyens enchaînés aux engins de chantier. L’un d’entre eux souffrirait d’une côte cassée et aurait reçu 14 jours d’ITT. De son côté, Boralex assure que trois de ses agents ont été blessés, bien qu’aucune violence de la part des activistes ne soit visible sur les images filmées lors des incidents. Sollicitée, l’entreprise n’a pas souhaité apporter d’éléments supplémentaires permettant de justifier ses dires. Des plaintes ont été déposées des deux côtés.
Si vous souhaitez soutenir les citoyens mobilisés contre la centrale photovoltaïque de Boralex, vous pouvez faire un don sur la cagnotte en ligne qui a été mise en place. Cela permettra de les accompagner dans leurs démarches judiciaires. N’hésitez pas à partager cette newsletter pour renforcer les associations qui luttent sur la montagne de Lure, et partout ailleurs, contre l’implantation de panneaux solaires au détriment d’espaces sauvages.

 

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